Julie Hascoët
Erwan Keruzoré
Heather Kai Smith
Eduardo Yaguas
L’exposition du printemps 2023 de la galerie Plein-jour « On est là » regroupe 4 artistes engagé-es : Julie Hascoët (France), Erwan Keruzoré (France), Heather Kai Smith (Canada), Eduardo Yaguas (Pérou).
Parties prenantes des luttes sociales et/ou sociétales de leurs temps, elles et ils envisagent les techniques et le répertoire de l’art comme autant de médiums de contestation de l’exploitation capitaliste, du néo-libéralisme, du patriarcat, de la violence institutionnelle ou guerrière. Ici, la puissance et l’efficacité visuelle de l’agit’prop se conjugue aux ressources les plus indéfinissables de l’art pour porter les œuvres aux limites de l’indifférenciation, entre art et activisme.
A rebours, donc, d’un art de tranquillité destiné aussi bien à « l’artiste des lettres qu’à l’homme d’affaires : un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui le délasse de ses fatigues physiques » (Henry Matisse, Notes d’un peintre, 1908), cette exposition interroge, à travers quatre exemples d’art de la lutte et de la revendication, nos conceptions esthétiques tout autant qu’éthiques et politiques.
Exposition du 19 mai au 25 juin 2023.
Julie Hascoët
Julie Hascoët est née en 1989 à Douarnenez. En 2012, elle est diplômée de l’École Supérieure de Photographie à Arles. Elle part en résidence à l’Institut français d’Amérique Latine pendant six mois à Mexico. Elle photographie les territoires qu’elle arpente. En 2019, elle s’installe à Brest. En 2022, elle présente son travail à Rennes, au FRAC et aux Champs Libres. Pendant 7 ans, elle a photographié les free parties en Bretagne. Elle confronte ces images d’installations éphémères en pleine nature avec les blockhaus construits pendant la seconde guerre mondiale qui font partie des paysages bretons.
Brest tout feu tout flamme
Un feu crépite à l’Hermitage,
des palettes flambent du côté de Guérin,
on brûle les restes d’un carnaval sauvage,
à Brest on fête un monde qui touche à sa fin
Une colonne de fumée s’élève au bout du port,
et une autre plus sombre, au dépôt pétrolier,
Le jour, pourtant, n’est pas levé encore
barricades de poubelles et barrières enflammées
À l’odeur du soja, échappée des silos,
s’est substituée celle, plus âcre, du pneu brûlé
On devance le matin pour entraver le boulot
une foule se soulève qui refuse l’énoncé
Sur le coup des onze heures, une clameur se répand
La manifestation traverse le pont de l’Harteloire
Une banderole de tête, qui donne de l’allant
indique « Brest la grise, yeux rouges, colère noire »
Ces photographies ont été prises lors d’événements qui se sont déroulés au cours des 3 dernières années à Brest ; elles n’avaient pas vocation à être exposées ni à intégrer une quelconque série ; ces images importent moins que l’économie à laquelle elles entendent participer : la vente de ces impressions alimentera une caisse anti-répression (aide juridique dans le cadre d’interpellations). Face à un État toujours plus autoritaire, organisons-nous. Julie Hascoët
Erwan Keruzoré
Erwan Keruzoré, ajusteur-mouliste dans une usine des Yvelines, est arrivé à l’art par des rencontres, des lectures et parce qu’il y a trouvé un moyen puissant « d’exploration du sentiment de Révolte, sentiment, qui, on le sait est le Ferment même de la Résistance. Avec impertinence, parfois, mais toujours avec une compassion pour ces différentes Figures de la Misère, Erwan nous conte à son tour une histoire bien à lui où il est question d’Hommes et de Femmes Debouts. »
Droit dans ses Guenilles, Yanitza Djuric
Ne pouvant dissocier engagement plastique et engagement politique, Erwan Keruzoré se situe dans la lignée d’artistes comme Armand Guillaumin, Maximilien Luce ou Théophile-Alexandre Steinlen qui, à la fin du XIXème siècle, ont représenté le labeur ouvrier dans une France industrielle en plein essor. Montrer le monde tel qu’il est vu d’en bas, déconstruire le discours et les symboles de l’ordre dominant : l’artiste s’engage résolument dans la lutte des classes et contribue à « redonner sens à l’idée d’un art engagé, dans un monde qui cherche pourtant à en désamorcer la charge critique. » Florian Gaité
« Le but est de mettre le doigt sur des choses non dites, de pousser le public à aller plus loin dans la recherche d’informations et dans la réflexion » dit l’artiste, par ailleurs initiateur et commissaire artistique des expositions « Ré-existence » aux Réservoirs de Limay.
Heather Kai Smith
Heather Kay Smith est une artiste visuelle et éducatrice canadienne qui vit actuellement entre Nanaimo, île de Vancouver, Canada et Chicago, Illinois, États-Unis. Diplômée de l’Université des arts de l’Alberta en 2009, elle obtient en 2017 une maîtrise en art de l’Université d’art et de design Emily Carr. Sa pratique explore le potentiel d’images d’archives de la protestation, de la collectivité et des communautés intentionnelles qu’elle réactive par le dessin, l’observation et l’itération. Son travail a été présenté partout au Canada et aux États-Unis. Les expositions récentes de son travail solo et collaboratif incluent : The Reva and David Logan Center for the Arts (Chicago, États-Unis), Vancouver Art Gallery (Vancouver, Canada), Tallinn Art Hall (Estonie) et The Walter Phillips Gallery (Banff, Canada).
« Ces dessins représentent une sélection d’une série d’œuvres réalisées à partir d’archives et d’images du Campement des femmes de Seneca pour la paix pour un avenir de paix et de justice. À l’automne 1983, le camp dirigé par des femmes a protesté contre la course aux armements nucléaires tout en visant des objectifs plus larges et intersectionnels d’écoféminisme, de non-violence et de méthodes performatives de désobéissance civile. Par le dessin, je m’intéresse à représenter les espoirs de ce mouvement tout en considérant ces images comme des incitations au futur. Je m’intéresse à la répétition de l’histoire en tant que lutte permanente pour le renouvellement, et à la manière dont ces images historiques possèdent un pouvoir longtemps après que les actions ont été réalisées. Le dessin peut réincarner l’image et susciter un regard en profondeur. »
Eduardo Yaguas
Né à Lima au Pérou en 1981, Eduardo Yaguas, éducateur de profession, est aussi dessinateur, illustrateur, animateur culturel et graveur. Il a remporté plusieurs concours de bande dessinée. Il collabore et travaille dans différents fanzines et magazines nationaux et internationaux. Il participe actuellement à différentes expositions et groupes d’art graphique, et est devenu l’un des auteurs de référence du mouvement de la bande dessinée et de l’illustration au Pérou et en Amérique latine.
« Au Pérou, la politique nous réserve chaque jour de nombreuses surprises, un jour il y a un président et le lendemain il n’y en a pas, il y a un coup d’État, une vacance du pouvoir ou même une démission. Un carnet d’événements peut être rempli en une seule journée. Dans le cadre de mes processus et de mes créations, j’ai toujours cherché à apprendre différentes techniques, telles que la bande dessinée, l’illustration, le design, la gravure, la céramique, entre autres. Pendant le coup d’État de Pedro Castillo et la prise de pouvoir de Dina Baluarte, j’ai illustré ce qui se passait. Mais comme je l’ai dit, tout va très vite et les obligations et besoins d’un travailleur indépendant sont toujours pressants et je n’avais plus le temps d’illustrer ce que je voulais raconter.
Comme j’avais déjà travaillé avec des linogravures sur des plaques plus grandes, je savais que cette technique me prendrait plus de temps. J’ai donc cherché une alternative plus rapide, plus confortable, plus gérable, qui s’adapterait un peu au temps que je pouvais me réserver, et j’ai donc utilisé des gommes, un carnet de notes, une gouge et un tampon encreur. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de secret ou de magie dans cette technique simple mais puissante selon la manière de la concevoir, et je pense que c’est pour cela qu’elle a beaucoup touché les gens. L’avantage de créer avec des tampons est que je pouvais renforcer l’idée, la composition et la communication avec les éléments répétitifs que je créais. J’ai utilisé un carnet avec des grilles pour m’aider à trier les motifs que je tamponnais, et j’ai commencé à créer un journal de protestation.
Les sujets que j’avais choisi étaient les cas partagés sur les réseaux sociaux, les plus emblématiques : les meurtres près de l’aéroport de Juliaca, l’utilisation d’armes militaires, le voyage des communautés des hautes Andes à Lima, les 36 balles qui ont tué Rosalino, entre autres. Les médias traditionnels péruviens ne mentionnent pas les manifestations, si ce n’est pour les qualifier de violentes et de terroristes. Et je pense qu’en tant que créateur, on est obligé de dénoncer et de protester depuis ses tranchées les représailles et les injustices de notre pays.
Le gouvernement n’assume toujours pas la responsabilité des meurtres qu’il a commis, l’accaparement des médias continue, le congrès fait ce qu’il veut et personne n’est coupable. C’est pourquoi ces tampons auront encore de nombreuses pages à remplir. »