Cartographie
 

Nicolas Fédorenko
Nikolas Fouré
Eric Gouret
Julia Krause-Harder
Renaud Perriches
Carole Rivalin
Ryotaro Shin
Miwa Sugihara
Koki Ueshima

 

Cartographie – Galerie Plein-Jour

« on me dit que certains ne s’intéressent pas aux cartes, j’ai peine à le croire. »

R.L.Stevenson

Les points et les lignes gravés voici 4000 ans sur la dalle de Saint-Bellec, grand bloc de schiste découvert à Leuhan en Finistère, représentent probablement la plus ancienne carte d’un territoire connu en Europe : un secteur de la vallée de l’Odet.
3000 ans plus tard, en 1154, le géographe arabe Al Idrissi réalise une carte du monde dont la précision demeure inégalée trois siècles durant : la Tabula Rogeriana.  Al Idrissi situe 13 villes de Bretagne, dont Leones qui serait, selon l’historien Bernard Tanguy, Douarnenez.

Cartes géographiques, cartes historiques, cartes fictives de pays d’utopies… inexorablement les cartes étendent leurs territoires à tous les champs du savoir et des imaginaires. Promesses et anticipations du voyage, elles « évoquent souvent autant le monde où nous pourrions vivre que celui où nous vivons vraiment » (Gilles A. Tiberghien).

On aurait pu craindre que des techniques cartographiques toujours plus sophistiquées ne laissent de côté les artistes qui, par le passé, avaient si souvent participé à la fabrication des cartes. Il n’en est rien et la liste est longue de ceux qui, à l’instar des artistes du land-art ou de Marcel Broodthaers et son atlas de poche, ont décidé de reprendre la main. Conscients de l’incapacité des cartes à « dire le vrai », ils calquent leurs procédures sur celles du cartographe tout en les questionnant, affranchis des conventions et des partis-pris de représentation.

Pour cette exposition d’hiver, la galerie Plein-jour est heureuse présenter les travaux de neuf artistes venus d’ Allemagne (Julia Krause-Harder), de France (Nicolas Fédorenko, Nikolas Fouré, Eric Gouret, Renaud Perriches, Carole Rivalin) et du Japon (Ryotaro Shin, Miwa Sugihara, Koki Ueshima).

Exposition du 17 décembre 2022 au 28 janvier 2023

Nicolas Fédorenko

Nicolas Fédorenko – Tout le monde se battra, 1999, Encres sur papier

Nicolas Fédorenko

Né en 1949, Nicolas Fédorenko vit et travaille à Pont-Croix en Finistère. Il a étudié à l’école des beaux-arts d’Aix-en-Provence, puis à Nantes et à Paris et a enseigné dans les écoles des beaux-arts de Brest, d’Angers et de Grenoble. En 1981, il est en résidence au PS1 Contemporary Art Center de New-York. De nombreux catalogues monographiques, livres d’artistes et éditions de multiples, ainsi que d’innombrables expositions jalonnent son parcours, notamment des exposition en solo comme « Peindre est un présent » en 2018 au Domaine de Kerguéhenne, Bignan ; « Un peintre dans la ville – la position de l’incertitude » en 2007 au Musée de la ville de Morlaix ; « Deux mains sales pour saisir le fugitif » en 1996 à Douarnenez.

Ayant en tête une gravure sur bois monumentale de Dürer (l’arc de triomphe de Maximilien) et la mappemonde d’Ebstorf de 1240, Nicolas Fédorenko a gravé en 1996, sur deux panneaux de contre-plaqué, une carte du temps, intitulée « tout le monde se battra » :

«  (…) Durant les quelques semaines qui seront nécessaires pour graver les panneaux, l’idée d’une carte du temps se précisa, au départ solidement fondée sur la symbolique Chrétienne, elle introduisit une autre narration qui, sans annuler la première, apporta des éléments hétérogènes, des doutes. C’est ainsi que je convoquais joyeusement une Vénus-Eve échappée d’une grotte du Paléolithique et son cher Adam, un Caprin facétieux portant un bouquet d’arbre sur sa croupe-Golgotha, une pyramide d’animaux de la ferme sortis d’un conte populaire, un Mont Ararat et au pieds d’un géant hurlant bardé d’une musculature imaginaire, deux gisants opposés par la tête reposant sous un cadran dont ils ne peuvent égrener le temps. Cet inventaire succinct ne saurait négliger le travail de la couleur qui participe au sens.

La première épreuve imprimée, je décidais d’appliquer de larges plages colorées qui tracent de nouveaux itinéraires de lectures favorisant certains points de vue.

C’est ainsi que l’apparition d’un énorme tank ou d’un avion dans certaines épreuves, à partir d’une même matrice de base distendent notre perception relative du temps ».

Nikolas Fouré

Nikolas Fouré, Carte, Encre sur papier trouvé

Nikolas Fouré, Carte, Encre sur papier trouvé

Nikolas Fouré est né en 1976. Il se partage entre Rennes et Clermont-Ferrand où il enseigne à l’ École Nationale Supérieure d’Architecture. Des réalisations in situ, dont Untitled (2010) à la piscine des Gayeulles à Rennes et de nombreuses expositions jalonnent son parcours, notamment en 2006 au Triangle, Rennes ; en 2014 au Quartier, Quimper ; en 2021 Sky nautic au Lycée Auguste et Jean Renoir, Angers et Sommes-ciel, Galerie des Petits Carreaux, St Briac-sur-Mer.

La série Les cartes de Nicolas Fourré comporte à ce jour 26 dessins à l’encre sur papier trouvé, plié, froissé, chiffonné, qui peuvent être présentés seuls ou par ensembles, accrochés au mur ou présentés sous forme d’installation. « La salle des cartes », présentée lors de l’exposition « L’épaisseur des fleuves » à l’Abbaye de Saint-Florent-le Vieil en 2020 en est un exemple.

Reprenant à son compte le titre de l’ouvrage de Korzibsky, La carte n’est pas le territoire, Nikolas Fouré relève « une dichotomie, une opposition qui émet la distance “intellectuellement correcte” entre artefact et territoire, théorie et expérience. »

« L’échelle est bien entendu prédominante dans les relations que nous entretenons avec les territoires et leurs représentations. Mais une surface est matérielle et qu’elle soit de terre, d’asphalte ou de papier ( support d’architecture ou de représentation) nous pouvons la parcourir et en faire l’expérience. »

« Les lignes que je trace sur des morceaux de papier sont autant des parcours que les marches que je réalise sur les sols. Les surfaces dessinées sont ici des territoires traversés et les lignes qui habitent ses surfaces sont les traces de ces parcours. La carte devient le territoire. »

Eric Gouret

Eric Gouret, Encre sur papier

Eric Gouret, Encre sur papier

Eric Gouret est né en 1971 à Saint-Nazaire. Il vit et travaille à Nantes. Diplômé (DNSEP) en 1997 de L’École Régionale des Beaux-arts de Rennes, il a présenté son travail dans de multiples expositions collectives et personnelles dont, en 2019 Dé re ré, domino au MAC Val de Vitry-sur-Seine et à Entre-deux, à Nantes. Il présente en 2021 Oxy à la galerie du Lycée Camille Claudel de Blain et A plus ou moins 1 KM à la galerie du Lycée Aristide Briand de Saint-Nazaire. Au printemps 2022, la galerie Plein-jour a présenté un ensemble significatif de sa série « Absorbés ».

S’étant procuré un stock de tampons de classe de géographie des années 50, Eric Gouret s’est attaché, par la répétition quasi hallucinatoire de tracés cartographiques « à brouiller les cartes, les retourner, annonçant de nouvelles lectures, de nouveaux territoires, a l’instar des modifications des espaces, territoires, détruits, modifiés au cours du temps, par les activités humaines (industrialisation, urbanisation) outrancières. Les lignes d’eau de ces tampons se superposent, grossissent, se dédoublent, et s’effacent, comme une sorte de cartographie instable.

L’autre interrogation réside dans la représentation et l’appréhension des espaces entre la période d’après guerre, les année 50 (apprentissage des territoires par le dessin, image figée) et aujourd’hui, à l’heure du numérique et des représentations en mouvement, en direct, vue de l’espace (géolocalisation). Une rapidité qui accélère le grand tout, ne laissant plus de place ou très peu aux zones tampons. »

Julia Krause-Harder

Julia Krause-Harder, La création du monde, 2021 – Photo Axel Schneider

Julia Krause-Harder, La création du monde, 2021 – Photo Axel Schneider

Née en 1973 à Kronberg im Taunus, Julia Krause-Harder vit et travaille à Francfort-sur-le-Main. Depuis 2017, elle est chargée de cours dans le cadre de la Goldstein Akademie.

L’œuvre de Julia Krause-Harder se caractérise par une profonde fascination pour la paléontologie et la géographie. En parallèle à son grand projet de représentation sculpturale de toutes les espèces de dinosaures, créatures anatomiquement précises et de taille réelle réalisées par des assemblages d’objets et de matériaux du quotidien, l’artiste a réalisé pendant près de trois ans une carte textile monumentale, « La création du monde ». S’étendant sur plus de 250 mètres carrés, cette œuvre puissante, à forte charge évocatrice, enveloppe le regard et nous trouble : bariolé, chaud, chatoyant, le monde se donne à voir ici dans toute sa poésie et sa fragilité, fait et défait, à l’image de la carte du Japon présentée à Douarnenez.

Renaud Perriches

Né en 1982, Renaud Perriches vit et travaille à Douarnenez.  Diplômé de l’école des beaux-arts de Paris en 2007, Il est à l’initiative, en 2010, du projet Moinsun. artist-run-space qui pendant plus de 5 ans servira de tremplin à une génération de jeunes commissaires. Son travail a été présenté lors des expositions personnelles Dominus, Tonus, Paris  2018 ; A grotto, ExoExo, Paris 2015 et Interior desire, NuN, Berlin 2013. Il a participé aux exposition collectives Curves are so emotional, Shelves, Paris 2017, Plus jamais seul, Standards, Rennes 2015 et en 2019 à la galerie Plein-jour à Douarnenez.

« Il s’agit d’une série de cartes mentales sans usage, un fond spatial désœuvré qui ne mène nulle part. »

On ne pourrait plus dire ici parce qu’il n’y aurait plus de monde. Seulement des amas et des géométries perdues, éparses, livrées à elles même. Les cartes seraient fines et dures, découpées net, saisissantes comme des silhouettes d’oiseau, en haut de no-man’s land de cauchemars. Les mots seraient effacés, les rivières seraient effacées, les routes seraient effacés, le souvenir des souvenirs seraient effacés. On n’attendrait plus.

J.P. Le Bars

Carole Rivalin

Carole Rivalin, Orange

Carole Rivalin, Saint Tropez

Née en 1972, Carole Rivalin vit et travaille à Saint-Nazaire. Diplômée de l’école des beaux-arts de Rennes en 1997, Carole Rivalin a depuis effectué de nombreuses expositions personnelles et collectives en France et à l’étranger, ainsi que plusieurs résidences, notamment à l’Espace de l’Art Concret à Mouans-Sartoux en 2004. Elle conçoit des œuvres généralement in situ qui peuvent s’inscrire dans le paysage (Palissades en 2008 à la manifestation Le vent des forêts dans la Meuse et Torï au parcours d’art contemporain de Fontenay-le-comte ) ou dans l’espace urbain ( Ça me rappelle quelque chose en 2011 à Nantes). Carole Rivalin est représentée par la galerie Oniris, Rennes.

« Face aux dessins de Carole Rivalin, un grand vent nous fait perdre le nord. Le regard est déboussolé par des bandeaux arc-en-ciel, les marbrures ou les damiers de Formule 1 recouvrant les cartes géographiques. Des marqueurs Posca, du papier, une règle, beaucoup de patience : les moyens les plus simples produisent les plus grands effets. Si « What you see is what you see », comme le déclarait l’artiste minimal Franck Stella, on aurait peut-être tort de s’arrêter à la surface. De l’art concret de Théo van Doesburg (1930), la plasticienne retient le vocabulaire abstrait autoréférenciel, du minimalisme le principe de répétition, la série, l’ouverture de la perception à l’environnement. Du Bauhaus surtout, l’utopie d’un monde en train d’émerger à partir de quelques couleurs primaires et la liberté des formes géométriques (…)

Pas de protocole stricte mais le besoin de partir des signes existants pour les souligner, les effacer, les interpréter. Le feutre suit les lignes et révèlent leur nature abstraite (…)

Les constructions de Carole Rivalin avouent leur origine artisanale, manuelle, d’une maladresse calculée. Sa cartographie déplace la théorie du point-ligne-plan vers l’imaginaire du coloriage, le plaisir de l’enfance. » Ilan Michel

Ryotaro Shin

Ryotaro Shin, Map of Oïta 1

Ryotaro Shin, Map of Oïta 2

Ryotaro Shin a 35 ans et est résident du Centre Mebukien à Bundo-Uno. Il partage son temps entre le dessin, la lecture des cartes de train, la conversation et la chanson.

Ryotaro Shin recense les gares, les bâtiments et les connexions ferroviaires de son environnement urbain dont il se plaît, inlassablement, à dresser la carte. Ces « Map of Oïta » sont ensuite scotchées sur du carton d’emballage, par« paquets » plus ou moins épais, accompagnés de codes et de formules, indices supplémentaires d’une cartographie mentale secrète et prégnante.

Miwa Sugihara

Miwa Sugihara, Momiji, Stylo à bille à base d’huile, marqueur à colorant, 52,5 x 60 cm, 2020

Miwa Sugihara est née en 1965. Elle vit et travaille dans la ville de Kochi. Elle est membre de l’Art Center Garaku depuis 2004.

« Miwa Sugihara commence son travail en regardant attentivement des livres d’images et d’art et en sélectionnant ses images et photos préférées. Une fois qu’elle a choisit quelque chose, elle déplace son stylo dans un mouvement rythmique, et l’impression de l’image change au fur et à mesure qu’elle les voit. »
Les formes qu’elle capture s’étendent sur la toile comme pour s’en échapper, créant une histoire qui est propre à l’artiste. Le point commun de ses travaux est la transformation : avec elle, une image effrayante devient une image drôle, une carte de géographie se métamorphose en purs champs colorés, travaillés de motifs répétitifs et rythmés.

Koki Ueshima

Koki Ueshima, Shoutochuuoukokuchizu, Crayon de couleur et stylo encre, 53,5 x 39 cm

Koki Ueshima, Moekakyouwakokuchizu, Crayon de couleur et stylo encre, 53,5 x 39 cm

Koki Ueshima est né en 2021 à Kameoka, dans la préfecture de Kyoto au Japon. Diplômé en 2019 de l’école de Chutan pour personnes en situation de handicap, il a participé en décembre 2021 à l’exposition “Tabiniderukoto, sonojunbi” (Vous allez voyager, préparez-vous !) au Musée de la ville de Kyoto et en janvier de la même année à “Yubisaki no koi” à l’espace d’art Co-Jin de Kyoto.

Sur la base de décors soigneusement élaborés et de manuels rédigés par lui-même, Koki Ueshima dessine en détail des cartes de villes ou d’îles fictives. Un guide non publié mais particulièrement précieux pour lui et ses proches indique les méthodes à suivre pour dessiner à partir de ses cartes préférées – celle qu’il trouve dans le commerce et dont il s’inspire – soit un total de 16 processus indiquant comment décider du nom du pays, dessiner le littoral, indiquer par des crayons de couleur les jours de fêtes etc. Il y a aussi des notes soigneusement conçues sur les habitants du pays, et il semble y avoir un décor détaillé qui n’est pas dessiné sur la carte mais que Koki a imaginé avec précision.

Figurent donc, quelque part sur la grande mappemonde des terres imaginaires, entre L’Isle au trésor de Stevenson et l’Utopie de Thomas More, les créations de Koki Ueshima.

La galerie Plein-jour remercie chaleureusement les centres d’art et d’accueil qui lui ont apporté leurs soutiens :

Le Centre d’art Garaku, à Harimaya-cho, dans la ville de Kochi, Japon
L’atelier Goldstein de l’association Lebenshilfe à Francfort-sur-le-Main, Allemagne
L’atelier Moe-Artwork au Centre Mebukien à Bundo-Uno, Japon
Le centre Village REN, Kameoka City, préfecture de Kyoto, Japon
Un très grand merci aussi à Megumi Yuri du Centre Pomamori à Tokyo, Japon, pour sa précieuse collaboration.