Brunschwig – Lambert – Murphy – Smolinski – Tenaglia
 

Colette Brunschwig
Jean-Pierre Lambert
Niki Murphy
Éric Smolinski
Christina Tenaglia

Colette Brunschwig – Jean-Pierre Lambert – Niki Murphy – Éric Smolinski – Christina Tenaglia

Les artistes présentés en ce printemps 2024 par la galerie Plein-jour expriment un intense sentiment de présence, de prise directe avec la réalité et ses forces. Pousser l’image jusqu’à son épuisement, prendre conscience du vide (Colette Brunschwig), faire l’expérience de la perplexité et du non savoir (Christina Tenaglia), répéter, comme une pratique de dévotion, un geste à l’infini (Éric Smolinski), se mouvoir parmi les broussailles comme dans un champ d’abstraction (Jean-Pierre Lambert), dresser au stylo Bic les cartes de la poussière et de l’infini (Niki Murphy) … par des moyens d’une grande simplicité – quelques gestes, du bois, du papier, un peu d’encre – ces artistes écoutent et font entendre des résonances venues de loin, jusqu’à nous.

Colette Brunschwig

Colette Brunschwig, Sans titre, 2018, Huile sur toile, 44 x 63 cm

Colette Brunschwig, Sans titre, 2004, Technique mixte sur papier, 38,5 x 39,5 cm

Colette Brunschwig, Sans titre, 2003, Encre mixte sur papier, 29,3 x 36,3 cm

Née au Havre en 1927, Colette Brunschwig suit les cours de l’atelier d’André Lhote à Paris. A partir années 1950, elle expose à la galerie Colette Allendy. Différentes générations de galeries parisiennes accompagneront son œuvre dans les décennies suivantes : les galeries Nane Stern et La Roue dans les années 1970 ; dans les années 1980 et 1990, Bernard Bouche, Clivages, Jaquester, Vieille du Temple ; dans les années 2000 et jusqu’à aujourd’hui, Convergences et Jocelyn Wolff. En 2020, elle prend part à l’exposition collective Femmes années 50. Au fil de l’abstraction, peinture et sculpture au musée Soulages à Rodez. Ses œuvres figurent dans de nombreuses collections publiques, dont Le Musée d’art moderne de Paris et le Centre Georges Pompidou.

« La Nécessité dans laquelle la Peinture puise sa force est d’être ce contre-pouvoir à la domination des images. »
Colette Brunschwig

Profondément marquée par les bombardement et l’incendie du Havre qu’elle dû fuir avec sa famille en 1944, c’est dans la matière même de la peinture que Colette Brunschwig trouvera à exprimer les ténèbres, le chaos, l’effacement. La rencontre décisive, vers l’ âge de vingt ans, avec les Nymphéas de Claude Monet, « débâcle lente de la forme » où, dit-elle « le haut et le bas, la droite et la gauche s’orientent, se rejoignent et se perdent » marquera une œuvre partagée entre obscurité et lumière et qu’identifient des « gris définis comme un intermédiaire pictural des couleurs »1. C’est dans les années 1950 encore, dans la proximité philosophique d’Emmanuel Levinas, que l’artiste, proche du philologue Jean Bollack, joint ses recherches picturales à l’étude des traditions exégétiques talmudiques, avant d’y associer, à la fin des années 1960, l’enseignement des peintres lettrés chinois des XIIe et XIIIe siècles. Par l’intermédiaire de Pierre Soulages, elle rencontre le peintre coréen Lee Ungno (1904-1989), dont les signes abstraits sont pour elle « pleins des significations d’un langage véritable ». Les lavis d’encre et les peintures de Colette Brunschwig, peintre de l’anéantissement et du recommencement, peuvent aussi être saisis, selon Hélène Meisel2, depuis ces traditions orientales, bouddhistes et zen : traversés d’une lumière intérieure pareille à la « phosphorescence de chaque poussière »3, contractant une intensité où « toute la durée du vécu se trouve résorbée.»4

1 : www/colettebrunschwig.com 2 : Hélène Meisel, Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, 2022
3 : Tadao Takemoto, traducteur japonais. 4 : François Cheng, écrivain, poète et calligraphe.

Jean-Pierre Lambert

Jean-Pierre Lambert, Sans titre, Impression jet d’encre, 38 x 38 cm

Jean-Pierre Lambert, Sans titre, Impression jet d’encre, 38 x 38 cm

Jean-Pierre Lambert, Sans titre, Impression jet d’encre, 38 x 38 cm

De 1984 a 1999 Jean-Pierre Lambert a dirigé une galerie de photographie à Paris. Ayant séjourné pendant les dix années suivantes en Uruguay, il y a entamé un travail photographique consacré au monde végétal qu’il poursuit aujourd’hui en Catalogne (Espagne) où il réside.

« L’abstraction lyrique pour simplifier, c’est vraiment ce que me propose la nature, c’est ce que j’ai sous les yeux. »
Jean-Pierre Lambert

Les photographies de Jean-Pierre Lambert font état d’une nature sans artifice, banale en somme. Ici, pas d’arbre remarquable, de troncs massifs charpentant l’espace. Rien ne se propose de manière isolée, rien ne s’offre au regard. Le milieu végétal « prend tout », enchevêtrement-réseau dans lequel les branches, les ramifications sont des lignes mais jamais des contours, tracés ouverts qui vont et viennent, circulent entre des points invisibles, points de croisement dans un espace à 2, 3, ou 4 dimensions – on ne sait plus.

Dans ce monde de circulations muettes et de pure présence, l’image lutte contre elle-même, tenaillée par l’irreprésentabililé d’un « quelque part » sans bord ni centre, incommensurable, insaisissable et abstrait. Comme dans les « all over » d’un Pollock tournoyant de part et d’autre de sa toile, la photographie de Jean-Pierre Lambert est une tentative d’approche plus qu’une représentation ou une restitution du réel. Et de même, dit-il, qu’il  « quitte le chemin pour pénétrer la broussaille », l’artiste nous invite à nous déprendre des faux-fuyants de l’image et du regard et à faire corps, enfin ou à nouveau, avec l’intensité du monde. J.P. Le Bars

Niki Murphy

Niki Murphy, Encre et stylo bille sur papier, 150 x 120 cm

Niki Murphy, Encre, stylo à bille sur papier, 120 x 80cm

Niki Murphy, Stylo à bille sur papier, 152 x 108 cm (Détail)

Niki Murphy est née à Breda (Hollande) en 1962. Elle vit et travaille à Rotterdam. Après des études dans différentes académies d’art, St. Joost à Breda, Rietveld Academy à Amsterdam, Kunst Akademie Düsseldorf et des séjours de longue durée à Berlin, Cambridge et Yorkshire, elle finit par s’installer à Rotterdam, où elle vit et travaille aujourd’hui. En 2024, Niki Murphy a exposé à la Galerie Westerkadekunst et à Het Archief, Rotterdam ; en 2023, elle a réalisé le projet Startpress, Grafisch Atelier Minnigh, Rotterdam et a été artiste invitée au pen Studios Borgerstraat à Rotterdam et en résidence au WinterLabor ArToll, Bedburg-Hau en Allemagne.

Des mondes naissent, chez Niki Murphy, du simple usage de stylos Bic et de grandes feuilles de papier. Figurent-elles, ces surfaces bleutées, des étendues interstellaires ou des biotopes labourés en tous sens de vies microscopiques ? Petits ou immenses, ces espaces échappent à toute mesure.

L’artiste met en œuvre une prodigieuse variété de traits, de nuances, de points et de traces laissées en blanc par réserve qui dévoilent des champs vibratoires, actifs comme des cerveaux ou des atomes en oscillation qui font rythmes, périodicités, résonance et signaux.

Par contact, la feuille a préalablement reçue l’empreinte d’un pan de mur, d’un coin de sol. Elle s’est chargée des poussières et des salissures du quotidien que l’artiste frotte, raye, efface, distribuant par des interventions subtiles et des jus de couleur les dynamiques de l’œuvre. C’est par pliage ensuite, à la manière d’une carte routière, que Niki Murphy opère une division du support dont chaque partie, ramenée aux proportions d’un coin de table, pourra être travaillée au stylo, partout et en tous sens, à l’atelier, dans le train, sur les genoux… L’œuvre achevée se déploie comme un monde. J.P. Le Bars

Éric Smolinski

Eric Smolinski, Sans titre, Agraphes

Eric Smolinski, Sans titre, Bois de noyer

Eric Smolinski, Sans titre, Bois de noyer

« Les réalisations d’Eric Smolinski sont d’une précision qui confine à la folie mais également d’une poésie légèrement dérangeante. Il y a plusieurs allers/retours entre la main et l’imaginaire, entre la réalité de la matière et sa transformation. » (Galerie la Boucherie). Après avoir sculpté pendant dix ans 230 noyaux de dates réunis par séries, Eric Smolinski s’est attelé à d’autres matériaux, agrafes de cartons d’emballage ou morceaux de branche de noyer assemblés par chevillage, qu’il perfore de milliers de trous minuscules. Ces branches reconstituées et « aérées » selon un protocole de répétition, témoignent de la rigueur de l’artiste mais également d’un pas de deux exécuté, en toute fantaisie, avec l’élément naturel.

« Noyaux, bois, cure-dents, agrafes, silex, perceuse, cutter, pinces, marteau, papier de verre, colle, poncer, percer, gratter, assembler, frapper, serrer, tordre, coller.
Le matériau, objet de peu, cherché, ramassé, collecté, amassé, innombrable, crée l’envie,
une tyrannique nécessité.
Le geste, simple, désespérément simple, trivial, archaïque, dépourvu de toute noblesse et de savoir- faire. Répété, infiniment répété. Jusqu’à l’extrême lassitude qui marque la fin de l’intention.
Apparaît donc le volume, troué, criblé, hérissé, entravé, enserré. De ces réseaux divers, comme autant d’obstacles à la lumière, s’imposent des formes dont on espérera qu’elles révèlent ou interrogent. » Éric Smolinski

« Je pense qu’il y a une dimension spirituelle dans la répétition, une qualité dévotionnelle, comme lorsqu’on récite un rosaire. » Kiki Smith

Christina Tenaglia

Christina Tenaglia, Bois, peinture, encre, clou, 26,7 x 20,5 x 4 cm

Christina Tenaglia, Sans titre, Bois, peinture, crayon de couleur, vis, 30,5 x 24 x 2,5 cm

Christina Tenaglia, Sans titre, Bois,peinture,encre, clou et vis, 25,5 x 25,5 x 6 cm

Christina Tenaglia, née en 1975 à Philadelphie, vit et travaille à Saugerties, dans l’État de New York. Elle a obtenu une maîtrise en beaux-arts à la Yale School of Art et a reçu de nombreuses bourses d’achats et de résidences ( MacDowell Colony, W.K. Rose, NJ State Arts Council pour la sculpture, American Academy of Arts and Letters.) Son travail a fait l’objet de multiples expositions individuelles et collectives , notamment à la Thomas Park Gallery, New York et Séoul ; Al Held Foundation, Boiceville ; Pamela Salisbury Gallery, Hudson ; Opalka Gallery, Albany, NY ; White Pines, Byrdcliffe, Woodstock ; The Samuel Dorsky Museum, New Paltz, NY ; Newark Museum, Newark, NJ. Son travail a également fait l’objet de critiques et d’articles dans Hyperallergic, le Brooklyn Rail, Chronogram etc

« Travaillant dans un langage qui amplifie les innommables et les particularités, le vocabulaire de mon travail est une réduction. Les ouvertures, les fermetures, les réparations, les extensions, les façons dont les choses sont tenues, soutenues, inclinées, façonnées et offertes entrent toutes en jeu. Une grande partie de ce travail fait référence à l’intérieur et à l’extérieur, à ce que nous tenons, à ce qui nous tient, à ce que nous transportons, à la manière dont nous utilisons, à la manière dont nous rassemblons, à la manière dont les choses fonctionnent et surtout à la manière dont les choses fonctionnent à plusieurs.

Comment nous situons-nous, nous, nos mains et nos corps physiques dans une chorégraphie de matériaux, d’objets, de mouvements et d’espaces quotidiens ? Comment comprendre qu’un fragment, un recadrage ou une partie soit différent d’un tout ? Les anatomies humaines et les systèmes rudimentaires se combinent avec les organisations structurelles et les méthodologies. (…)

Les abstractions peuvent-elles fonctionner comme des perturbations ? Permettent-elles des moments de non-savoir (…) ? J’utilise des éléments qui offrent des familiarités imprégnées d’incertitudes. Matériellement calmes et simples, ces objets tentent de créer ou de déterrer une expérience de perplexité inattendue dans quelque chose d’indéniablement simple. » Christina Tenaglia

La galerie Plein-jour remercie chaleureusement les cinq artistes de l’exposition, la famille de Colette Brunschwig ainsi que Valérie Grais de la galerie Convergence à Paris pour leur confiance et leur soutien.